Dans les années 1930, moins de 50 000 Juifs vivaient à Toronto lorsqu’un groupe de dirigeants communautaires optimistes et visionnaires a eu l’idée de construire un grand cimetière juif sur l’avenue Wilson, entre les rues Dufferin et Keele. La plupart des résidents juifs de la ville vivaient au sud de la rue Harbord et à l’est de Bathurst. Peu d’entre eux se seraient aventurés au nord, à la frontière de Downsview.
Le recensement de 1941 n’a dénombré que 63 Juifs résidant à North York, ce qui ne représente que 0,3 % de la population juive de la ville. Vingt ans plus tard, ce nombre est passé à 45 400, soit 16,8 % des résidents juifs de Toronto.
La plupart des nouveaux arrivants étaient des familles qui cherchaient à échapper à la foule et au chaos du centre-ville. Mais il y avait aussi un nombre important de Juifs européens qui avaient fui les horreurs de l’Holocauste et qui étaient désireux de commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays. Tous cherchaient à bâtir une vie propre à leur culture pour leur famille avec l’espace, la sécurité et la stabilité que ce quartier de banlieue pouvait leur offrir, un quartier plus abordable que les enclaves juives établies, comme Cedarvale et Forest Hill.
Pour beaucoup d’entre eux, ce nouveau foyer se trouverait dans les champs entourant Downsview, délimité par l’avenue Sheppard au sud, l’avenue Finch au nord, Bathurst à l’est et la rue Dufferin à l’ouest. Les personnes qui ont grandi dans ce quartier l’appelaient communément Downsview. À la fin des années 50 et au début des années 60, des promoteurs ont commencé la construction du quartier Bathurst Manor, un projet d’aménagement résolument plus haut de gamme. Dans une brochure promotionnelle, ils le décrivaient comme « une communauté heureuse dans un aménagement immobilier résidentiel où on ne trouve que de belles maisons ».
Ces maisons, une variété de bungalows et de maisons à paliers construits sur de larges rues pavées, ont été mises sur le marché pour la première fois en 1954. Nombre d’entre elles se vendaient pour moins de 20 000 dollars. La région était si isolée que les rédacteurs de la brochure ont jugé nécessaire d’indiquer que la livraison postale et le service téléphonique seraient offerts.
Le quartier Bathurst Manor a été un succès immédiat. En 1961, il comptait 9 200 habitants. Sept mille d’entre eux étaient juifs. Ils avaient tout ce dont ils avaient besoin pour créer une communauté juive autonome et prospère. Il y avait au moins une demi-douzaine de synagogues dans le secteur, permettant aux Juifs orthodoxes et conservateurs de se vouer à leur pratique religieuse. La plupart proposaient un enseignement religieux à temps plein ou à temps partiel. Durant l’été, il y avait une myriade de camps de jour et un programme très actif de parcs et loisirs organisé par l’ensemble des écoles publiques. De plus, les trois écoles secondaires publiques du secteur, Northview Heights, William Lyon Mackenzie et Sir Sandford Fleming, fermaient officieusement leurs portes lors des fêtes juives.
Il y avait trois endroits où les gens se rassemblaient. Le premier était sur Sheppard et Bathurst – où le centre commercial était considéré comme assez chic, à l’époque. L’épicerie Steinberg, la première du quartier, s’y est installée et a été rejointe, peu à peu, par d’autres petits commerces comme Pinky’s, un comptoir chinois de plats à emporter, et Sunset Terrace, un restaurant chinois plus haut de gamme.
Le deuxième endroit où les gens se rassemblaient était un petit centre commercial situé juste en face de la Dublin Public School, sur Sheppard et Wilmington. Le célèbre centre abritait la boulangerie Deluxe Bakery, qui offrait le meilleur gâteau au chocolat de la ville, et à l’angle, il y avait le Fat Art's Delicatessen.
Le troisième centre très fréquenté était le Bathurst Manor Plaza, à l’angle de l’avenue Wilmington et de la place Overbrook. On y trouvait le magasin Dominion (qui a changé de nom plus tard pour Sunnybrook) pour l’épicerie, la boulangerie Louis, qui vendait les meilleurs beignets au chocolat, et le Goodman’s China, où les mariées s’inscrivaient. Il y avait une tabagie, une banque, une quincaillerie, un salon de coiffure et au deuxième étage, des cabinets de médecins et de dentistes. Aucun besoin de faire ses courses ailleurs, et durant l’apogée du quartier, dans les années 1960 et 1970, de nombreux habitants du quartier Bathurst Manor n’allaient pas ailleurs pour faire leurs courses. Le véritable joyau du secteur était le parc situé juste à côté du centre commercial, où les enfants se retrouvaient pour patiner l’hiver et faire du sport l’été.
Mais rien ne reste inchangé, et le quartier Bathurst Manor ne fait pas exception.
Après des années de déclin, l’endroit a fermé ses portes en juillet 2016. La ville étudie actuellement une demande de réaménagement du site.
Et bien que la plupart des écoles religieuses et des synagogues construites dans les années 1950 et 1960 soient toujours intactes, la communauté juive a poursuivi sa migration vers le nord, dans des endroits comme Thornhill et Vaughan. Aujourd’hui, seulement environ 30 % des résidents du quartier sont juifs. Ils ont cédé leur place à de nouveaux groupes d’immigrants. Pour les nouveaux arrivants, le quartier Bathurst Manor est aussi la porte d’entrée vers leur avenir canadien.
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